Si le web 2.0 est encore souvent présenté comme un instrument de prise de pouvoir du consommateur face à la toute-puissance des marques, la réalité est nettement plus nuancée. Les deux histoires qui suivent mettent en relief un aspect intéressant de ce phénomène plus complexe qu’il n’en a l’air.

Vendeur, prends garde!

Notre premier récit met en jeu une consommatrice branchée réseaux sociaux et une entreprise manifestement déconnectée de la nouvelle réalité. Si l’anecdote est tirée de faits réels, les noms et le récit ont été travestis à la demande des parties impliquées.

Acte 1: une facture de 2.000 euros

Une jeune demoiselle du Borinage, appelons-la Kimberley pour faire « couleur locale », travaille pour une entreprise active dans les nouvelles technologies. Son employeur, attiré par une offre alléchante d’un petit opérateur télécom, décide de conclure un nouveau contrat avec ce fournisseur. Aux termes de ce contrat, et conformément à la législation sociale et fiscale belge, la partie de la facture de chaque employé liée à l’usage privé de son téléphone portable lui est portée en compte. Mais voilà: après moins d’un mois d’utilisation, l’usage privé de Kimberley donne lieu a une facture de près de 2.000 euros. Un contraste marquant avec ses anciennes factures, qui avoisinnaient tout au plus la dizaine d’euros. Surprise et étonnée, elle contacte son employeur, qui la met en rapport avec le service client de l’opérateur. Fin de l’acte 1.

Acte 2: « ha ha ha » (rire moqueur)

Manifestement, il y a une erreur. Mais l’opérateur fait la sourde oreille et refuse même d’examiner les arguments avancés par la jeune femme. En désespoir de cause, celle-ci les prévient: « si vous ne prêtez pas attention à moi, vous prêterez peut-être attention à la publicité négative que je vais vous faire sur les réseaux sociaux ». Les responsables de l’entreprise lui opposent un non teinté d’ironie.

Acte 3: Tout s’arrange

Un blog créé spécialement pour la cause – reprenant quelques extraits choisis des échanges entre Kimberley et l’opérateur – et quelques milliers de « likes » et de « retweet » plus tard, l’opérateur télécom réalise qu’il est face à  une sérieuse baisse de popularité. Après quelques dernières péripéties, la jeune femme met le blog hors ligne et l’opérateur retire la facture litigieuse.

Morale de l’histoire: bien utilisés, les réseaux sociaux peuvent effectivement avoir un impact.

Des cyberlunettes et des videurs

Acte 1: Dehors!

Notre deuxième récit commence sur une avenue chère à Joe Dassin. Steve Mann, geek, inventeur et bloggeur canadien, se fait éjecter manu militari du Mc Donald’s des Champs-Elizées. Son crime? Le port de lunettes qui ne sont pas sans rappeler les Google Glass. Ces lunettes de son invention sont reliées à son crâne par des sortes d’électrodes. Leur rôle: permettre à Steve Mann, quasi aveugle, de percevoir le monde qui l’entoure. Mais les videurs du lieu ne semblent guère perméables à son explication, et arguent du respect de la vie privée pour le mettre dehors sans ménagement, non sans avoir au préalable tenté de lui arracher les lunettes.

Acte 2: Ca ne se passera pas comme ça!

Ni une ni deux, Steve Mann prend la plume le clavier et narre sa mésaventure sur son blog. Quelques internautes outragées relaient l’information, et prennent d’assaut la page Facebook de Mc Donald’s France. Pris de court ou mal préparée, la marque réagit maladroitement et un communiqué de presse maladroit enflamme un peu plus l’internet. Steve Mann semble avoir gain de cause.

Acte 3: Ben en fait, si!  

Pourtant, l’affaire s’éteindra finalement comme un pétard mouillé, et Steve Mann n’obtiendra jamais d’excuses de la marque. Les internautes se désintéressent progressivement. Pire: dès le premier jour, certains prennent même la défense de la marque sur sa page.

Morale de l’histoire: même bien utilisés, les réseaux sociaux n’ont pas toujours un impact

Tout est une question de valeur

Pourquoi Kimberley obtient-elle gain de cause et Steve Mann finit-il dans les limbes? La question m’a préoccupé tout au long de l’été dernier. Sans aucune certitude scientifique, voici ma conclusion: Kimberley a eu gain de cause parce que le problème qu’elle a rencontré et propagé sur les réseaux sociaux porte sur un élément crucial de la value proposition, ou proposition de valeur,  de l’opérateur télécom. En clair, elle porte sur un élément central du service.

Les clients d’un opérateur télécom s’attendent à ce que le service clients soit au minimum prêt à les écouter s’ils se retrouvent face à une facture manifestement trop élevée. Que l’opérateur se soit montré entièrement sourd aux demandes de Kimberley avait donc largement de quoi inquiéter et emballer la toile: qui voudrait devenir client d’une entreprise qui refuserait de l’écouter en cas de problème?

À l’inverse, les clients d’un Mac Donald’s ne s’y rendent pas pour profiter de l’amabilité, de la courtoisie et de la diction impeccable du personnel. Ils  vont acheter et consommer rapidement le burger de leur choix, et se doutent bien que les employés du lieu ne sont pas nécessairement les gens les plus aimables de la terre. Mais comme leur interaction se limite la plupart du temps à « un menu Big Mac à emporter, coca et mayonnaise, s’il vous plaît ». La courtoisie du personnel n’est pas un élément central du service fourni par le restaurant.

La preuve, nous la trouvons en remontant le temps. En 2011, un adolescent meurt d’une intoxication alimentaire suite à l’ingestion d’un hamburger dans un restaurant Quick en France. Très vite, l’affaire fait la Une des journaux, et est abondamment commentée dans la presse et sur internet. Quick fait face à une crise majeure. Sa réaction: la publication d’une vidéo sur Youtube et sur la page Facebook de la marque. Le président de Quick France lui-même y fait ses excuses, explique les causes du problèmes et les mesures prises par la marque afin d’éviter qu’un tel événement se reproduise. Pourquoi une telle réaction? Parce qu’au-delà de l’aspect tragique de l’événement, la proposition de valeur de Quick a été ébranlée: chacun s’attend, en se rendant chez Quick, à recevoir une nourriture préparée selon des normes d’hygiène strictes.

Le succès ou l’échec d’une campagne entamée par un ou plusieurs consommateurs sur les réseaux sociaux dépendra donc, entre autres choses, de la nature des faits qu’ils reprochent à une marque. Si ces derniers touchent un élément essentiel de la proposition de valeur, ils auront une chance de se faire entendre. Sinon, l’échec sera la solution la plus probable. Le consumérisme version 2.0 a donc sa propre limite: la bonne volonté des consommateurs.